Folie dans un jardin français
par Eurydice T – Milsani
Des jardins debout face au regard : une débauche de lignes, des couleurs en aplat, des formes découpées et composées soigneusement.
Frontalité absolue. Horizontales croisant des verticales, bandes clivées s’accordant aux ondulations et aux zigzags.
Des jardins à la française : des espaces sertis, brillants, claquant comme des blasons, ouverts et clos à la fois : impénétrables. Des lieux préservés, à la fois abordables et inaccessibles.
Pour les cerner par la parole un vocabulaire musical serait possible : des portées, des gammes, des accords des croches et des doubles croches. On peut aussi employer des termes indiquant quelque geste de la main humble et patient : broderie des parterres, tissage des pelouses, criblage de feuillages, délayage de branches, arasement du sol, maçonnage d’escaliers, pavage des sentier, filage de bosquets… un langage de construction, d’ordonnancement, d’agencement, d’organisation simple mais savante.
Tout est si bien délimité, si parfaitement bordé qu’on pourrait penser au jeu de la marelle… et tout à coup la voix vibrante d’un enfant affolé : « Attention, ne marche pas sur les traits ! ».
Dans le mot « Squares », la géométrie. Comme si on pouvait s’y méprendre. Comme si cela ne crève pas les yeux que c’est elle qui, en bonne ménagère, n’arrête pas de parfaire son ouvrage : toujours là à façonner, à compartimenter, à interdire le moindre écart, imposant à la couleur de se tenir tranquille dans ses cases, d’éviter tout débordement…
Mais oui, il n’y a aucun doute, c’est un vrai jardin « à la française ». Pourtant… comme l’équilibre est subtil, la folie guette. A peine a-t-on tourné le dos qu’un vent fou s’empare des structures, et tout bascule. Les sages feuillages tondus se mettent en pagaille, les petites fleurs si bien rangées prolifèrent en semis anarchiques, l’empire du vert décline cédant sa place au rouge impétueux… et n’en déplaise à Le Nôtre, son jardin devient mosaïque exubérante, fantaisie traîtresse, carnaval jubilatoire pour un regard affamé de couleur et d’imprévu.
Albertine Trichon 