par ET Milsani
« Quand on a un sujet le reste va tout seul ! » disait Picasso. En effet rien de plus stimulant qu’un bon sujet qui fait irruption dans l’oeuvre d’un peintre. Il perturbe ses habitudes et met en branle son imagination créative.
Albertine Trichon n’a jamais été à court de sujet : Dès le départ, son œuvre en est traversée par une succession éblouissante : les personnages du début, les maisons de campagne, les usines, les tombes du Père Lachaise, les stades, les jardins, les balcons d’Athènes, les « coups d’œil » japonais, composent une chaîne d’unités bien fournies.
Son déménagement aux quais du Canal de l’Ourcq d’ il y a trois ans fut décisif. Pour une artiste attachée au local, sensible aux atmosphères, aux saveurs particulières du réel, cet événement lui apporta tous les ingrédients pour une nouvelle thématique. Impressionnée par l’ambiance du canal, les tissus urbains coupés par les voies aquatiques, elle s’en appropria immédiatement. Ces paysages silencieux, presque désertiques sont devenus terrain à explorer, écran pour projeter ses obsessions.
L’ espace industriel nu, ponctué de ponts et de véhicules évidés, telles des carcasses abandonnées, l’ont fascinée. Elle l’a vidé encore plus, effaçant les détails , les passants, favorisant les ordonnances rectilignes des murs sans messages, insistant sur l’effet de masse. Les tableaux furent meublés de péniches et des véhicules « dé-mécanisés ». Une puissance structurelle s’en dégagea, une mélancolie rappelant les villes des tableaux de Sironi et de Giorgio De Chirico.
La présence de l’eau quasi stagnante plate et lisse, évoque parfois des profondeurs insondables et ferme l’ image sur elle-même. Jamais rieuse, elle donne à l’artiste l’occasion d’expérimenter une gamme de verts acides dont la vibration rend à ce monde des quais toute son originalité.
« J’ai choisi ces couleurs pour m’éloigner du naturalisme impressionniste » dit l’artiste. La couleur est parfois un produit du hasard. Elle détient une lumière intérieure. J’ai voulu la travailler à fond et soudain elle est devenue un élément essentiel. C’est le jaune qui grince, qui introduit une atmosphère de roman policier…
Je m’intéresse aux choses que je vois tous les jours. J’entre en relation avec elles, je les absorbe, je les digère. J’aime le contraste entre les bâtiments rectilignes et le fouillis aléatoire de l’eau. J’évite tout système. Je peints la ville dans sa solitude, ses lieux inhabité. J’aime les bâtisses « débout » et j’élimine les détails pour éviter toute tentative descriptive.
En ce moment je ne m’intéresse pas à l’homme, mais à côté des structures froides, des murs nus, les camions et les voitures semblent introduire un reflet humain, un élément chaleureux, narratif : c’est comme le début d’une histoire ».