par Eurydice Trichon Milsani
Des jardins paradisiaques. Le vert dans toutes ses tonalités chante fort et les folles graphies du végétal forment des arabesques joliment rythmées. Une musique vive et sonore émane de ces coloris acides qui varient à peine d’un tableau l’autre. Un rideau feuillu, une multitude d’accords qui avancent vers nous d’un pas saccadé, dansant.
Combien envahissante cette prolixité du vert- se dit- on, mais, bien qu’envahis, bien remplis de cette chose luxuriante, généreusement offerte, on ne s’en lasse pas car une sensation de fraicheur nous emporte vers une étrange euphorie. C’est la belle saison… le bonheur.
Pour que la joie soit à son comble en plein milieu du paysage git la piscine : une pièce d’eau où triomphe une symphonie des bleus : turquoise, émeraude, lapis lazuli… Tantôt en courbe, tantôt carrée, elle présente une surface lisse ou agitée, faisant tâche, interrompant le mouvement entrelacé des branches, la confusion des frondaisons. La piscine c’est l’invasion de l’artificiel dans le naturel, la raison du béton, l’intervention d’une logique étrangère aux frisures capricieuses d’une nature qui se veut intacte.
C’est avec ces deux éléments antithétiques et concordants que l’artiste fait son jeu.
On reconnait l’univers aquatique d’Albertine : l’eau comme leitmotiv. Qu’il s’agisse d’un canal, d’un lac, d’une rivière, d’une pièce d’eau artificielle ou de la mer, cette eau est toujours là pour semer le désordre. L’eau pour son action réflective, réagissant à la lumière, pour ses effets de transparence ou bien pour faire rêver à une immensité, suggérer une profondeur, évoquer un trou, redouter un gouffre.
Si des nageurs s’y hasardent barbotant et s’éclaboussant gaiement, si un plongeur nage sous l’eau en apnée on partage leur plénitude, leur gaité sauvage, leur jubilation.
Si la piscine est déserte, juste une nappe remplie de liquide, une impression inquiétante ne tarde pas de surgir. La ceinture verte se resserre, un sentiment d’étouffement peut naître : ce vert, herbeux, foisonnant, devient aveuglant-on ne le voit plus et on se laisse transporter dans un de ces mystérieux endroits où on imaginait jadis les portes de l’au-delà, les bouches de l’enfer.
Plus tard, inspirés d’un air de Debussy, de cette eau tranquille on peut voir émerger, une divinité ancienne, quelque faune de la suite panique, des naïades qui déploieront leurs sortilèges sur sa lisse surface …
Enchantés, évasives, obsédantes, ces images vertes cherchent à faire irruption dans notre pensée, mettre en branle notre imaginaire. Les yeux fermés on les voit encore… Elles veulent à tout prix nous déraciner d’ici et du maintenant, nous amener ailleurs. Délicieuses aussi bien qu’étranges, à peine naturelles mais naturellement vraies, elles nous offrent ce que l’art français a toujours été : calme luxe et volupté.
ETM